A SEASON IN HELL
Once, if I
recall rightly, my life was a feast where all hearts blossomed, and all wines
flowed.
One evening
I sat Beauty on my knees – And I found her bitter – And I turned against her.
I armed
myself against Justice.
I fled. O
witches, O misery, O hatred, it was to you I confided, it was to you my
treasure was entrusted!
I contrived
to wipe all human hope from my mind. I strangled joy. I pounced like a ferious
beast on it.
I called out
to the firing squad that I might eat their guns as I died. I called out to
plagues, to smother me in sand and blood. Misfortune was my god. I slept in
mud. I hung myself out to dry in the open air of crime. I played games, fine
tricks on madness.
And spring
brought me the haunting laugh of an idiot.
Just now,
finding myself on the point of uttering my final cry, my last breath, I thought
of seeking the key to the ancient feast, where I might find my appetite again!
Charity is
the key – This inspiration proves that I dream!
“You’re a
hyena still…” the demon cries who crowned me in poppies. “Win death with all
your appetites; with selfishness, with all the capital sins.”
Ah, I’m fed
up – But, dear Satan, a less flaming eye, I beg you! And while awaiting several
small infamies in arrears, for you who prize the absence of descriptive or
instructive skill in a writer, for you let me tear out these hideous pages from
my notebook of the damned.
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où
s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j'ai assis la
Beauté sur mes genoux. — Et je l'ai trouvée amère. — Et je
l'ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !
Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordrela crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux,
pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis
allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons
tours à la folie.
Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
La charité est cette clef. — Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
"Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
Ah ! j'en ai trop pris : — Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !
Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre
Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
La charité est cette clef. — Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
"Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
Ah ! j'en ai trop pris : — Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
BAD BLOOD
I have the
pale blue eye of my Gallic ancestors, the narrow skull and their lack of
coordination in combat. I find my clothes as barbaric as theirs. Only I don’t
grease my hair.
The Gauls
were the most inept flayers of beasts and scorchers of earth of their age.
From them
too: idolatry and love of sacrilege: – oh, all the vices, anger, lust –
magnificent, the lust – above all lying and sloth!
I've a
horror of all trades. Masters and workers: all peasants, lowlifes. The hand
that guides the pen, guides the plow. – What an age of hands! – I shall never
get my hand in. Anyway domesticity goes too far. Beggars sicken me. They are
too honest. Criminals disgust me like eunuchs: as for me, I’m intact, and it is
all the same to me!
But who made
my tongue so deceitful that it’s guided and safeguarded my indolence till now?
Without even using my body to live, I am as slothful as a toad. I've been
everywhere. There is not a family in Europe that I do not know. – I mean families
like my own that owe everything to the declaration of the Rights of Man. – I've
known all the sons of good families!
Mauvais sang
J'ai de mes ancêtres gaulois l'œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps.
D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, — magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse.
J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! — Je n'aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L'honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m'est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement qu'elle ait guidé et sauvegardé jusqu'ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. —J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits
de l'Homme. — J'ai connu chaque fils de famille !
__________
If only I
had forerunners at some point in the history of France!
But no,
nothing.
It’s clear
that I've always belonged to an inferior race. I don’t understand revolutions.
My race never rose up except to pillage: like wolves round a beast they haven’t
killed.
I recall the
history of France, eldest daughter of the Church. As a peasant I must have made
the journey to the Holy Land: my
head full of roads of the Swabian plains, the views of Byzantium, the ramparts of Jerusalem: the cult of Mary;
tenderness for the crucified, wake in me a thousand profane enchantments. – I
sit, a leper, among broken pots and nettles, at the foot of a wall ravaged by
the sun. – Later, a mercenary, I camped under German constellations.
Ah! Again: I
dance the Sabbath in a red glade, with old women and children.
I remember
nothing more than this land and Christianity. I shall never finish with seeing
myself in the past. But always alone: without family: and even the language I
spoke, what was it? I cannot see myself in the counsels of Christ: nor in the
councils of the Lords – representatives of Christ.
What was I
in the last century? I find no trace today. No more vagabonds, no more vague
wars. This inferior race has over-run everything – the people, as one says, the
nation, reason, science.
Oh! Science!
Everything has been revised, altered. For the body and the soul – the Eucharist
– one has medicine and philosophy – old wives’ remedies and popular songs
transformed. And the pastimes of princes and the games they proscribed!
Geography, cosmography, physics, chemistry!
Science, the
new nobility! Progress. The world marches on. The world turns, why not?
It is the
vision of numbers. We advance towards the Spirit. It is quite certain, it is an
oracle, I say. I understand, and not knowing how to express myself without
pagan words, I’d rather be mute.
Si j'avais des antécédents à un point quelconque de l'histoire de
France !
Mais non, rien.
Il m'est bien évident que j'ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée.
Je me rappelle l'histoire de laFrance fille aînée de l'Église. J'aurais fait,
manant, le voyage de terre sainte, j'ai dans la tête des routes dans les
plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme ; le culte de
Marie, l'attendrissement sur le crucifié s'éveillent en moi parmi les mille
féeries profanes. — Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et
les orties, au pied d'un mur rongé par le soleil. — Plus tard,
reître, j'aurais bivaqué sous les nuits d'Allemagne.
Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, — représentants du Christ.
Qu'étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, — le viatique, — on a la médecine et la philosophie, — les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !...
La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le mondemarche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
Mais non, rien.
Il m'est bien évident que j'ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée.
Je me rappelle l'histoire de la
Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, — représentants du Christ.
Qu'étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, — le viatique, — on a la médecine et la philosophie, — les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !...
La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde
C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
__________
The pagan
blood returns! The Spirit is near, why doesn’t Christ help me by granting my
soul nobility and freedom? Alas! The Gospel has passed away! The Gospel! The
Gospel.
I wait for
God like a glutton. I am of inferior race for all eternity.
Here I am on
the Breton shore. How the towns glitter in the evening. My day is done: I’m
quitting Europe. Sea air will
blister my lungs: lost climates will darken my skin. To swim, to trample the
grass, to hunt, to above all smoke: to drink hard liquors like boiling metals –
like my dear ancestors did round the fire.
I’ll return
with limbs of iron; dark skin and a furious eye: from my mask I’ll be judged as of
a mighty race. I’ll have gold: I’ll be idle and brutal. Women nurse those
fierce invalids returning from hot countries. I’ll be mixed up in politics.
Saved.
Now I’m an
outcast, I have a horror of the fatherland. The best thing for me is a drunken
sleep on the beach.
Le sang païen revient ! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne
m'aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l'Évangile a
passé ! l'Évangile ! l'Évangile.
J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, — comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'œil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève.
J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, — comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'œil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève.
__________
We're not going – back to the old roads again, marked with my vice, the vice that has thrust its roots of suffering into my side, since the age of reason – that rises to the sky, hits me and knocks me down and drags me along.
The
last innocence and the last timidity, I've said it. Not to
carry my disgust and betrayals through the world.
Forward! The
march, the burden, the weariness, the
anger.
Whom shall I
hire myself to? What beast must be adored? What saintly image attacked? What
hearts shall I break? What lie must I uphold? – Wade through what
blood?
Rather steer
clear of justice – a hard life, brutish – to open the coffin lid with a
withered hand; to sit, to suffocate. So no old age, no dangers: terror is not
French.
– Ah! I am
so forsaken I could offer any divine image no matter what my urges towards
perfection.
O my
self-denial, O my marvelous charity! Even down
here!
De profundis Domine, what a fool I am!
On ne part pas. — Reprenons les chemins d'ici, chargé de
mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge
de raison — qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! Lamarche , le fardeau, le désert, l'ennui et la
colère.
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? — Dans quel sens marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. — La vie dure, l'abrutissement simple, — soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française.
— Ah ! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !
La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! La
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? — Dans quel sens marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. — La vie dure, l'abrutissement simple, — soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française.
— Ah ! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !
__________
Still but a child, I admired the stubborn convict on whom the prison gates are always closing: I visited inns and rooming houses that he may have sanctified with his presence: I saw the blue sky with his mind, and the flowering of the countryside: I sensed his fate. He had more strength than a saint, more common sense than a traveler – and he, he alone! witness of his glory and reason.
On the
highroads, on winter nights, without shelter, without clothing, without bread,
a voice squeezed my frozen heart: “Weakness or strength: with you it’s
strength. You don’t know where you’re going or why you’re going: go everywhere,
react to everything. They won’t kill you any more than if you were a corpse.”
In the morning I had such a blank look, such a dead face, that those who met
me might have thought I was a ghost if they saw me at all.
Suddenly, in
the towns, the mud would seem red or black to me, like the mirror when the lamp
moves about in the next room, like a treasure in the forest! Good luck, I’d
cry, and I’d see a sea of flames and smoke in the sky: and to right and left
all the riches flaming like a trillion lightning flashes.
But orgies
and the company of women were forbidden me. Not even a friend. I could see
myself before an angry crowd, facing the firing-squad, weeping with a misery
they couldn't have understood, and forgiving them! – Like Joan
of Arc! – “Priests, professors, masters, you’re wrong to hand me over to
justice. I've never been part of this race. I've never
been a Christian: I’m of the race that sings under torture: I don’t
understand the law: I've no moral sense, I’m a brute: you’re
wrong…”
Yes, I've closed
my eyes to your light. I’m a beast, a slave. But I can be saved. You are a
sham, you maniacs; wild beasts, misers. Merchant, you’re a slave:
magistrate, you’re a slave: general, you’re a slave: emperor, you old sore,
you’re a slave: you've drunk an untaxed liquor from Satan’s
still. – This race is inspired by fever and cancer. Old folks and invalids are
so respectable they ask to be boiled. – The cleverest thing is to quit this
continent, where madness prowls to find hostages for these wretches. I’m off to
the true kingdom of the sons of Ham.
Do I know
nature yet? Do I know myself? – No more words. I bury the dead in my gut.
Shouts, drums, dance, dance, dance, dance! I don’t even see the moment when the
white man lands and I fall to nothingness.
Hunger,
thirst, shouts, dance, dance, dance, dance!
Encore
tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le
bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu'il aurait sacrés par son
séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de
la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force
qu'un saint, plus de bon sens qu'un voyageur — et lui, lui seul !
pour témoin de sa gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : "Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre." Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d'exécution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant ! — Comme Jeanne d'Arc ! — "Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce peuple-ci ; je n'ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez..."
Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. — Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !
Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : "Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre." Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d'exécution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant ! — Comme Jeanne d'Arc ! — "Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce peuple-ci ; je n'ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez..."
Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. — Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !
The white
man is landing. The cannon! We have to submit to baptism, clothes,
work.
My heart has
been touched by grace. Ah! I hadn't seen it coming!
I've done
nothing evil. Light will be my days and I shall not repent. I shall not know
the torments of the soul that’s dying, where light rises from candles for the
dead. The fate of a son of good family, an early coffin scattered with crystal
tears. Doubtless, debauchery is foolish; vice is foolish, rottenness must be
thrown out. But the clock will not strike the hour of pure sadness! Shall I be
carried off like a child to play in paradise forgetting all unhappiness?
Quick! Are
there other lives? – Repose with riches is impossible. Wealth has always been
so public. Divine love alone offers the keys of knowledge. I see that nature is
nothing but a show of kindness. Farewell fantasies, illusions, ideals,
errors.
The song of
the Angels rises from the lifeboat: it is divine love. – Two Loves! I can die
of earthly love, or die of devotion. I've left souls for whom the
pain of my departure increases! You have chosen me from the shipwrecked:
those who are left aren't my
friends?
Save
them!
Reason is
born in me. The world is good. I will bless life. I’ll love my brothers. These
are no longer childish promises; nor the hope of escaping old age and
death. God is my strength and I praise God.
Les blancs débarquent. Le canon ! Il faut se soumettre au baptême, s'habiller,
travailler.
J'ai reçu au cœur le coup de la grâce. Ah ! je ne l'avais pas prévu !
Je n'ai point fait le mal. Les jours vont m'être légers, le repentir me sera épargné. Je n'aurai pas eu les tourments de l'âme presque morte au bien, où remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche est bête, le vice est bête ; il faut jeter la pourriture à l'écart. Mais l'horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l'heure de la pure douleur ! Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l'oubli de tout le malheur !
Vite ! est-il d'autres vies ? — Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L'amour divin seul octroie les clefs de la science.
Je vois que la nature n'est qu'un spectacle de bonté. Adieu chimères, idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s'élève du navire sauveur : c'est l'amour divin. —Deux amours ! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement. J'ai laissé des âmes dont la peine s'accroîtra de mon départ ! Vous me choisissez parmi les naufragés, ceux qui restent sont-ils pas mes amis ?
Sauvez-les !
La raison est née. Le monde est bon. Je bénirai la vie. J'aimerai mes frères. Ce ne sont plus des promesses d'enfance. Ni l'espoir d'échapper à la vieillesse et à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.
J'ai reçu au cœur le coup de la grâce. Ah ! je ne l'avais pas prévu !
Je n'ai point fait le mal. Les jours vont m'être légers, le repentir me sera épargné. Je n'aurai pas eu les tourments de l'âme presque morte au bien, où remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche est bête, le vice est bête ; il faut jeter la pourriture à l'écart. Mais l'horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l'heure de la pure douleur ! Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l'oubli de tout le malheur !
Vite ! est-il d'autres vies ? — Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L'amour divin seul octroie les clefs de la science.
Je vois que la nature n'est qu'un spectacle de bonté. Adieu chimères, idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s'élève du navire sauveur : c'est l'amour divin. —Deux amours ! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement. J'ai laissé des âmes dont la peine s'accroîtra de mon départ ! Vous me choisissez parmi les naufragés, ceux qui restent sont-ils pas mes amis ?
Sauvez-les !
La raison est née. Le monde est bon. Je bénirai la vie. J'aimerai mes frères. Ce ne sont plus des promesses d'enfance. Ni l'espoir d'échapper à la vieillesse et à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.
__________
Boredom is
no longer my love. Rage, debaucheries, madness, all of whose joys and disasters
I know – my whole burden is laid down. Let us contemplate unfazed the extent of
my innocence.
I am no
longer capable of demanding the comfort of a thrashing stick. I don’t fancy
myself embarking on a wedding with Jesus Christ as
father-in-law.
I’m not a
prisoner of my own reason. I said: God, I want freedom in salvation: how am I
to pursue it? Frivolous tastes have quit me. No need for self-sacrifice or divine
love any more. No more regrets for tender hearts. Each has its own reason,
scorn and charity: I retain my place at the summit of this angelic ladder of
common sense.
As for
established happiness: domestic or not…no, I can’t. I’m too dissipated, too
feeble. Life flowers through work, an old truth: life floats and flies far
above the action, a point of reference dear to the world.
What an old
maid I've become, lacking the courage to be in love with
death!
If God would
grant me celestial, aerial, calm, prayer – like the ancient saints – the
Saints! Giants! Hermits, artists not wanted any more!
A continual
farce! My innocence should make me weep. Life is a farce where we all play a
part.
L'ennui n'est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les
désastres, — tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige
l'étendu de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non... non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort !
Si Dieu m'accordait le calme céleste, aérien, la prière, — comme les anciens saints. — Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n'en faut plus !
Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre ? Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des cœurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non... non, je ne peux pas. Je suis trop dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort !
Si Dieu m'accordait le calme céleste, aérien, la prière, — comme les anciens saints. — Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes comme il n'en faut plus !
Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener par tous.
__________
Enough! Here
is the sentence. – Forward, march!
Ah! My lungs
burn, my temples throb! Night revolves in my eyes and the sun retruns!
Heart…limbs…
Where
to? To battle? I’m weak! The others advance. Tools, weapons…time!
…
Fire! Fire
at me! Here! Or I’ll surrender – Cowards! – I’ll kill myself! I’ll hurl myself
under the horses’ hooves!
Ah! ...
– I
habituate.
That would
be the French way, the path of honor!
Assez ! voici la punition. — En marche !
Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur... les membres...
Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes... le temps !...
Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. — Lâches ! — Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
Ah !...
— Je m'y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !
Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur... les membres...
Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes... le temps !...
Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. — Lâches ! — Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
Ah !...
— Je m'y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !
NIGHT IN HELL
I have
swallowed a monstrous dose of poison – Thrice blessed be the counsel that came
to me! – My insides are burning. The venom’s violence wracks my limbs; deforms
and twists me to the ground. I’m dying of thirst; I suffocate, I cannot cry
out. It’s hell, the everlasting torment! See how the flames rise up! I burn
perfectly well. Well then, demon!
I witnessed
a conversion, I glimpsed into happiness and joy, I saw salvation. Let me
describe the vision, the air of hell suffers no hymns! There were millions of
charming and enchanting creatures, a harmonious and sacred concert, strength
and peace, noble ambitions, who knows what?
Noble
ambitions!
And still
this is life! – What if damnation is eternal! A man who wants to
mutilate himself is truly damned, is he not? I think myself in hell, therefore
I am. It’s the ratification of the catechism. I’m the slave of my baptism.
Parents, you caused my wretchedness and your own. Poor innocent! – Hell can’t
touch pagans – There’s life yet! Later the delights of damnation will deepen. A
crime, quick, let me fall into the void, in the name of human
law.
Quiet, quiet
there! ... Here’s shame and reproach: Satan, who says that the fire is ignoble,
that my anger is fearfully stupid. – Enough! ... Of the errors whispered to me,
magic, false perfumes, childish music. – And to think that I grasp truth, see
justice: my mind is sane and sound, I am ready for perfection… Pride – the skin
of my head dries up. Pity! Lord, I’m afraid. I thirst, such thirst! Ah,
childhood, grass, the rain, the lake over stones, the moonlight when the clock
struck twelve! …the devil’s in the belfry, at that hour. Mary! Holy
Virgin! – Horror at my stupidity.
Back there, aren't there honest souls, who wish me well? ... Come…I've a pillow over
my mouth; they can’t hear me, they’re phantoms. Besides, no one ever thinks of
others. Let no one come near me. My burnt hide stinks of scorched skin, that’s
certain.
The
hallucinations are innumerable. That’s what has always been wrong with me, in
fact: no belief in history, obliviousness to principles. I’ll be quiet about
it: poets and visionaries would be jealous. I am a thousand times richer, let’s
be as miserly as the sea.
See there!
The clock of life has just stopped. I am no longer in the world – Theology is
no joke, hell is certainly down below – and heaven above – Ecstasy,
nightmare, slumber in a nest of flames.
What tricks
while waiting in the countryside…Satan, Ferdinand, runs rife with wild
seed…Jesus walks on the purple briars, without bending them…Jesus once walked
on the troubled waters. The lantern showed him to us standing, pale with brown
tresses, on the flank of an emerald wave…
I shall
unveil all the mysteries: mysteries religious or natural, death, birth, future,
past, cosmogony, nothingness. I am a master of
phantasmagoria.
Listen!
...
I possess
every talent! – There is no one here, yet there is someone: I don’t wish to
spill my treasure – Shall it be African chants, the dance of houris?
Shall I vanish, dive deep in search of the ring? Shall I? I will make
gold, cures.
Have faith
then in me, faith soothes, guides, heals. Come, all you – even the little
children – let me console you, may a heart go out to you – the marvelous heart!
– Poor men, workers! I don’t ask for prayer; with your trust alone, I’ll be
happy.
– And let us
consider myself. It makes me regret the world very little. I was lucky not to
suffer more. My life was nothing but sweet follies, it’s
regrettable.
Bah! Let us
make every imaginable grimace.
Decidedly,
we are beyond the world. No more sounds. My sense of touch: gone. Ah, my
chateau, my Saxony, my rank of willows! Evenings, dawns, nights, days…How
weary I am!
I ought to
have a hell for my anger, a hell for my pride, – and a hell for my caresses; a
symphony of hells.
I’m dying of
listlessnes. It’s the tomb; I’m going to the worms, horror of horrors! Satan,
you fraud and trickster, you want to destroy me with your charms. I demand, I
demand one prick of the fork, one drop of the
fire!
Ah, to rise
again to life! To set eyes on our deformities. And that poison, that
kiss a thousand times damned! My weakness, the world’s cruelty! My God, have
pity, hide me, I can’t defend myself! – I am hidden and I am
not.
It is the
fire that flares up again with the damned.
Nuit
de l'enfer
J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. — Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé ! — Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier. C'est l'enfer, l'éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon !
J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes ! C'était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ?
Les nobles ambitions !
Et c'est encore la vie ! — Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n'est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j'y suis. C'est l'exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! l'enfer ne peut attaquer les païens. — C'est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi !... C'est la honte, le reproche, ici : Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. — Assez !... Des erreurs qu'on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles. — Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice : j'ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection... Orgueil. — La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j'ai peur. J'ai soif, si soif !
Ah ! l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte Vierge !...— Horreur de ma bêtise.
Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien... Venez... J'ai un oreiller sur la bouche, elles ne m'entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu'on n'approche pas. Je sens le roussi, c'est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C'est bien ce que j'ai toujours eu : plus de foi en l'histoire, l'oubli des principes. Je m'en tairai : poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah çà ! l'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure. Je ne suis plus au monde. —La théologie est sérieuse, l'enfer est certainement en bas — et le ciel en haut. —Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.
Que de malices, dans l'attention dans la campagne... Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages... Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber... Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d'une vague d'émeraude...
Je vais dévoiler tous les mystères : mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.
Écoutez !...
J'ai tous les talents ! — Il n'y a personne ici et il y a quelqu'un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. — Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l'anneau ? Veut-on ? Je ferai de l'or, des remèdes.
Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, — même les petits enfants, — que je vous console, qu'on répande pour vous son cœur, — le cœur merveilleux ! — Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières ; avec votre confiance seulement, je serai heureux.
— Et pensons à moi. Ceci me fait un peu regretter le monde. J'ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c'est regrettable.
Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables.
Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours... Suis-je las !
Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l'orgueil, — et l'enfer de la caresse ; un concert d'enfers.
Je meurs de lassitude. C'est le tombeau, je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu.
Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! — Je suis caché et je ne le suis pas.
C'est le feu qui se relève avec son damné.
DELIRIUM I
THE FOLLISH
VIRGIN
THE INFERNAL
BRIDEGROOM
Let us hear
the confession of a companion in hell:
“O heavenly
bridegroom, my Lord, do not refuse the confession of the saddest of your
handmaidens. I am lost. I am drunk. I am unclean. What a life!
Forgive me,
Lord, forgive me! Ah, forgiveness! What tears! And what tears again, I hope!
Later, I
will know the heavenly bridegroom! I was born His slave. – The other can beat
me now!
At present,
I inhabit the depths! O my friends! … No, not my friends…Never such ravings
such torments…It’s so stupid!
Ah, I
suffer, cry out! I suffer truly. And yet all is permitted me, weighed down with
the contempt of the most contemptible hearts.
Well then,
let us confide this thing, though we repeat it twenty times more – just as
drearily, as insignificant!
I am slave
to the infernal bridegroom, he who ruined the foolish virgins. It’s indeed that
very same demon. It’s no ghost, it’s no phantom. But I who have lost my wisdom,
who am damned and dead to the world – they won’t kill me! – How can I describe
him to you! I can’t speak any more. I am in mourning, I weep, I fear. A little
coolness, Lord, if you please, if you graciously please!
I’m a
widow…– I was a widow... – why yes, I was very respectable once, I was not
born to be a skeleton! ... – He was a almost a child…His mysterious
sensitivities seduced me. I forgot all my human tasks to follow him. What a
life! The true life is absent. We are not in this world. I go where he goes, I
have to. And often he’s angry with me, me, poor soul. The Demon! – He’s a
Demon you know, he’s not a man.
He says: “I
don’t like women. Love must be re-invented, that’s certain.
All they do is long for security. Once gained, heart and beauty are
set aside: only cold disdain remains, the fodder of marriage, nowadays. Or else
I see women, with the marks of happiness, whom I could have made into fine
comrades, devoured from the start by brutes as sensitive as posts…”
I listen to
him make infamy of glory, charm of cruelty. “I’m of a distant race: my
forefathers were Norseman: they slashed their sides, drank their own blood. –
I’ll make cuts all over; I’ll tattoo myself, I long to be hideous as a Mongol:
you’ll see, I’ll scream in the streets. I want to be mad with rage. Never show
me gems, I’d crawl on the carpet and writhe. My treasure, I’d like to be
stained all over with blood. I’ll never work…” On several nights, his demon
seized me; we rolled about, I wrestled him! – At night, often, drunk, he lies
in wait in the streets or houses, to frighten me to death. – “They’ll cut my
throat, truly; it will be ‘disgusting’.” Oh, those days when he chooses to
stroll about like a criminal!
Sometimes he
speaks in a kind of tender dialect, of death which brings repentance, of the
wretches who must exist, of painful toil, and partings that rend hearts. In the
hovels where we used to get drunk together, he would weep to see those around
us, wretched cattle. He would help to their feet the drunks in dark alleys.
He’d a wicked mother’s pity for little children. – He’d go about with the air
of a little girl on the way to her catechism. – He feigned all knowledge, of
commerce, art, medicine. – I followed him, I have to!
I could see
the whole scene with which, in his mind, he surrounded himself: clothes,
fabrics, furniture; I lent him emblems, another face. I saw all that touched
him, as he would have created it for himself. When he seemed listless, I
followed him, myself, in strange and complex deeds, far out, for good or ill: I
was certain of never entering his world. How many hours of vigil, beside his
dear sleeping body, questioning why he wanted to evade reality so deeply! No
man every wished for it so. I realized – without fearing for him – that he
might well prove a serious danger to society. – He knows perhaps secrets
for transforming life? No, he only seeks them, I’d tell myself. Then, his
charity is bewitched, and I’m its prisoner. No other soul would have had the
strength – the strength of despair – to endure it – to be protected and loved
by him! Besides, I could never imagine him with some other soul: one sees one’s
own Angel, never another’s – I think. In his soul it was as if I were in a
palace, emptied so none as base as self can be seen: that’s it. Alas! I
depended on him deeply. But what did he want with my lifeless and cowardly
existence? He made me no better, even though he failed to kill me! Sadly
distressed, I sometimes said to him: “I understand you.” He shrugged his
shoulders.
So, my grief
endlessly renewed, finding myself even more bewildered in my own eyes – as in
all those eyes that would have wished to stare at me, had I not been condemned
to be forgotten forever by all! – I became ever hungrier for his kindness. With
his kisses and embraces, it was truly heaven, a sombre heaven, which I entered,
and where I would gladly have been left, poor; deaf, dumb, blind. I was already
used to it. I saw us as two good children, free to wander in
the Paradise of sorrow. We were well suited. Deeply stirred, we worked
together. But, after a caress he would say: “How odd it will seem to you, when
I’m no more, all you have been through. When you no longer have my arms beneath
your neck; nor my heart to rest on, nor this mouth on your
eyes. Because I must go far away, one day. And then, I must help others:
it’s my calling. Though that’s not appealing…dear soul…” Suddenly I saw myself,
with him vanished, gripped by a noose, hurled into the most frightful darkness:
death. I made him promise never to leave me. He gave it twenty times, that
lover’s promise. It was as frivolous as my telling him: “I understand.”
Ah, I have
never been jealous of him! He will never leave me, I think. To do
what? He knows no one; he will never work. He wants to live like a
sleepwalker. Would his virtue alone grant him rights in the world of reality?
At times, I forget the pathetic state into which I've fallen: he will
make me strong, we shall travel, we’ll hunt in dunes of sand, sleep on the
pavements of nameless towns, without cares or troubles. Or I will wake, and
laws and customs will have changed – thanks to his magical powers – the world,
remaining the same, will leave me to my desires; joys, unemcumbered. Oh, will
you grant me the life of adventures that exists in children’s books, to repay
me, I've suffered so? He cannot. I don’t know what’s best for him. He
told me he had regrets, hopes: they can’t involve me. Does he talk to God?
Perhaps I should address myself to God. I am in the deepest abyss, and no
longer know how to pray.
If he
explained his sadness to me, would I understand it any better than his
raillery? He attacks me, spends hours making me ashamed of all in this world
that has the power to touch me, indignant if I weep.
“– You see
that elegant youth, entering that fine and peaceful house: he’s called
Duval, Dufour, Armand, Maurice, who knows? A woman devoted herself to
loving this spiteful fool: she died; she’s certainly a saint in heaven, now.
You’ll kill me as he killed her. That’s our fate, we charitable hearts…” Alas,
he had days when all human activity seemed to him a plaything of grotesque
delirium; he would laugh horribly for hours! – Then, he would resume his pose
of a young mother, a beloved sister. If he were tamed, we would be saved! But
his sweetness too is deadly. I submit to him. – Ah, I am mad!
One day
perhaps he’ll miraculously vanish; but I must know if he’s to attain some
heaven, so I may glimpse my little friend’s assumption!’
A strange coupling!
DÉLIRES
I
Vierge
folle
L'Époux
infernal
Écoutons, la confession d'un compagnon d'enfer :
"Ô divin Époux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soûle. Je suis impure. Quelle vie !
"Pardon, divin Seigneur, pardon ! Ah ! pardon ! Que de larmes ! Et que de larmes encor plus tard, j'espère !
"Plus tard, je connaîtrai le divin Époux ! Je suis née soumise à Lui. — L'autre peut me battre maintenant !
"À présent, je suis au fond du monde ! Ô mes amies !... non, pas mes amies... Jamais délires ni tortures semblables... Est-ce bête !
"Ah ! je souffre, je crie. Je souffre vraiment. Tout pourtant m'est permis, chargée du mépris des plus méprisables cœurs.
"Enfin, faisons cette confidence, quitte à la répéter vingt autres fois, — aussi morne, aussi insignifiante !
"Je suis esclave de l'Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C'est bien ce démon-là. Ce n'est pas un spectre, ce n'est pas un fantôme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnée et morte au monde, — on ne me tuera pas ! — Comment vous le décrire ! Je ne
" Je suis veuve... — J'étais veuve... — mais oui, j'ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette !... — Lui était presque un enfant... Ses délicatesses mystérieuses m'avaient séduite. J'ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s'emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon ! — C'est un Démon, vous savez, ce n'est pas un homme.
"Il dit : "Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir un position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l'aliment du mariage, aujourd'hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j'aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d'abord par des brutes sensibles comme des bûchers..."
"Je l'écoute faisant de l'infamie une gloire, de la cruauté un charme : "Je suis de race lointaine : mes pères étaient Scandinaves : ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang. — Je me ferai des entailles par tout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol : tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai..." Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous roulions, je luttais avec lui ! — Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m'épouvanter mortellement. — "On me coupera vraiment le cou ; ce sera dégoûtant. "Oh ! ces jours où il veut marcher avec l'air du crime !
"Parfois il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir, des malheureux qui existent certainement, des travaux pénibles, des départs qui déchirent les cœurs. Dans les bouges où nous enivrions, il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitié d'une mère méchante pour les petits enfants. — Il s'en allait avec des gentillesses de petite fille au catéchisme. — Il feignait d'être éclairé sur tout, commerce, art, médecine. — Je le suivais, il le faut !
"Je voyais tout le décor dont, en esprit, il s'entourait ; vêtements, draps, meubles : je lui prêtais des armes, une autre figure. Je voyais tout ce qui le touchait, comme il aurait voulu le créer pour lui. Quand il me semblait avoir l'esprit inerte, je le suivais, moi, dans des actions étranges et compliquées, loin, bonnes ou mauvaises : j'étais sûre de ne jamais entrer dans son monde. A côté de son cher corps endormi, que d'heures des nuits j'ai veillé, cherchant pourquoi il voulait tant s'évader de la réalité. Jamais l'homme n'eut pareil vœu. Je reconnaissais, — sans craindre pour lui,— qu'il pouvait être un sérieux danger dans la société. — Il a peut-être des secrets pour changer la vie ? Non, il ne fait qu'en chercher, me répliquais-je. Enfin sa charité est ensorcelée, et j'en suis la prisonnière. Aucune autre âme n'aurait assez de force,— force de désespoir ! — pour la supporter, — pour être protégée et aimée par lui. D'ailleurs, je ne me le figurais pas avec une autre âme : on voit son Ange, jamais l'Ange d'un autre, — je crois. J'étais dans son âme comme dans un palais qu'on a vidé pour ne pas voir une personne si peu noble que vous : voilà tout. Hélas ! je dépendais bien de lui. Mais que voulait-il avec mon existence terne et lâche ? Il ne me rendait pas meilleure, s'il ne me faisait pas mourir ! Tristement dépitée, je lui dis quelquefois : "Je te comprends." Il haussait les épaules.
"Ainsi, mon chagrin se renouvelant sans cesse, et me trouvant plus égarée à mes yeux, — comme à tous les yeux qui auraient voulu me fixer, si je n'eusse été condamnée pour jamais à l'oubli de tous ! — j'avais de plus en plus faim de sa bonté. Avec ses baisers et ses étreintes amies, c'était bien un ciel, un sombre ciel, où j'entrais, et où j'aurais voulu être laissée, pauvre, sourde, muette, aveugle. Déjà j'en prenais l'habitude. Je nous voyais comme deux bons enfants, libres de se promener dans le Paradis de tristesse. Nous nous accordions. Bien émus, nous travaillions ensemble. Mais, après une pénétrante caresse, il disait : "Comme ça te paraîtra drôle, quand je n'y serai plus, ce par quoi tu as passé. Quand tu n'auras plus mes bras sous ton cou, ni mon cœur pour t'y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu'il faudra que je m'en aille, très loin, un jour. Puis il faut que j'en aide d'autres : c'est mon devoir. Quoique ce ne soit guère ragoûtant..., chère âme..." Tout de suite je me pressentais, lui parti, en proie au vertige, précipitée dans l'ombre la plus affreuse : la mort. Je lui faisais promettre qu'il ne me lâcherait pas. Il l'a faite vingt fois, cette promesse d'amant. C'était aussi frivole que moi lui disant : "Je te comprends."
"Ah ! je n'ai jamais été jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois. Que devenir ? Il n'a pas une connaissance ; il ne travaillera jamais. Il veut vivre somnambule. Seules, sa bonté et sa charité lui donneraient-elles droit dans le monde réel ? Par instants, j'oublie la pitié où je suis tombée : lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les déserts, nous dormirons sur les pavés des villes inconnues, sans soins, sans peines. Ou je me réveillerai, et les lois et les mœurs auront changé,— grâce à son pouvoir magique, — le monde, en restant le même, me laissera à mes désirs, joies, nonchalances. Oh ! la vie d'aventures qui existe dans les livres des enfants, pour me récompenser, j'ai tant souffert, me la donneras-tu ? Il ne peut pas. J'ignore son idéal. Il m'a dit avoir des regrets, des espoirs : cela ne doit pas me regarder. Parle-t-il à Dieu ? Peut-être devrais-je m'adresser à Dieu. Je suis au plus profond de l'abîme, et je ne
"S'il m'expliquait ses tristesses, les comprendrais-je plus que ses railleries ? Il m'attaque, il passe des heures à me faire honte de tout ce qui m'a pu toucher au monde, et s'indigne si je pleure.
" "Tu vois cet élégant jeune homme, entrant dans la belle et calme maison : il s'appelle Duval, Dufour, Armand, Maurice, que sais-je ? Une femme s'est dévouée à aimer ce méchant idiot : elle est morte, c'est certes une sainte au ciel, à présent. Tu me feras mourir comme il a fait mourir cette femme. C'est notre sort, à nous, cœurs charitables..." Hélas ! il avait des jours où tous les hommes agissant lui paraissaient les jouets de délires grotesques : il riait affreusement, longtemps. — Puis, il reprenait ses manières de jeune mère, de sœur aimée. S'il était moins sauvage, nous serions sauvés ! Mais sa douceur aussi est mortelle. Je lui suis soumise. — Ah ! je suis folle !
"Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement ; mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l'assomption de mon petit ami !"
Drôle de ménage !
DELIRIUM II ALCHEMY OF THE WORD
My turn: the
story of my foolishness.
For ages I
boasted of possessing all possible landscapes, and found the celebrities of
modern painting and poetry absurd.
I loved
idiotic pictures, painted panels, stage sets, backdrops, hotel signs, popular
prints; unfashionable literature, church Latin, erotic books with poor
spelling, bygone novels, fairy tales, little books for children, old operas,
inane refrains, syncopated rhythms.
I dreamt of
crusades, unrecorded voyages of discovery, republics without histories, wars of
suppressed religion, moral revolutions, movements of races and continents: I
believed in every enchantment.
I invented
the color of
vowels! A black, E white, I red, O blue, U green. –
I regulated the form and motion of every consonant, and, with instinctive
rhythms, I flattered myself I’d created a poetic language, accessible some day
to all the senses. I reserved the translation rights.
It was
academic at first. I wrote of silences, nights, I made note of the
inexpressible. I fixated on frenzies.
DÉLIRES
II
Alchimie
du verbe
À moi. L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoire les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! — A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. — Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.
__________
Far from the
flocks of birds and village girls,
On my knees,
what did I drink in the heather?
Surrounded
by a tender grove of trees,
In a green
mist, what did I drink on that warm afternoon?
What could I
be drinking?
Voiceless
trees, flowerless turf, an ominous sky –
From yellow
gourds, far from my hut,
I perspired
as I drank golden liquors.
My
silhouette was like a dubious sign
for a
strange hotel – A storm blew in.
That
evening, the wind of God
Brought ice
to the pond:
– I could no
longer drink: I saw gold, I wept!
Loin des
oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert ?
Que pouvais-je boire dans cette jeuneOise ,
— Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert ! —
Boire à ces gourdes jaunes, loin de ma case
Chérie ? Quelque liqueur d'or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d'auberge.
— Un orage vint chasser le ciel. Au soir
L'eau des bois se perdait sur les sables vierges,
Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares ;
Pleurant, je voyais de l'or — et ne pus boire. —
Que buvais-je, à genoux dans cette bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Dans un brouillard d'après-midi tiède et vert ?
Que pouvais-je boire dans cette jeune
— Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert ! —
Boire à ces gourdes jaunes, loin de ma case
Chérie ? Quelque liqueur d'or qui fait suer.
Je faisais une louche enseigne d'auberge.
— Un orage vint chasser le ciel. Au soir
L'eau des bois se perdait sur les sables vierges,
Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares ;
Pleurant, je voyais de l'or — et ne pus boire. —
__________
At four in
the morning, in summer,
The slumber
of love still lasts.
Later the
scent of the night fades
After the
party ends.
Down in
their vast wood shops,
In
the Hesperian sun,
In
shirtsleeves – the Carpenters
Toil.
In their
deserts of foam, tranquilly,
They prepare
costly canopies
Where the
city will paint
Fabulous but
false skies.
O, for those
charming workers,
Subjects of
a Babylonian king,
Venus,
leaves her lovers sleeping,
Whose souls
are wreathed and crowned.
O
Queen of the Shepherds
Bring to the
workers the water of life,
So their
strength may be appeased
As they wait
to bathe in the sea at noon.
À quatre
heures du matin, l'été,
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bocages s'évapore
L'odeur du soir fêté.
Là-bas, dans leur vaste chantier
Au soleil des Hespérides,
Déjà s'agitent — en bras de chemise —
Les Charpentiers.
Dans leurs Déserts de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la ville
Peindra de faux cieux.
Ô, pour ces Ouvriers charmants
Sujets d'un roi de Babylone,
Vénus ! quitte un instant les Amants
Dont l'âme est en couronne.
Ô Reine des Bergers,
Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer à midi.
Le sommeil d'amour dure encore.
Sous les bocages s'évapore
L'odeur du soir fêté.
Là-bas, dans leur vaste chantier
Au soleil des Hespérides,
Déjà s'agitent — en bras de chemise —
Les Charpentiers.
Dans leurs Déserts de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la ville
Peindra de faux cieux.
Ô, pour ces Ouvriers charmants
Sujets d'un roi de Babylone,
Vénus ! quitte un instant les Amants
Dont l'âme est en couronne.
Ô Reine des Bergers,
Porte aux travailleurs l'eau-de-vie,
Que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer à midi.
__________
The old
poetry played a part in my alchemy of the word.
I became accustomed
to pure hallucination: I saw quite clearly a mosque instead of a factory, a
school of drummers led by angels, carriages on the highway of the sky, a salon
in the depths of a lake; monsters, mysteries; a performance, a skit, conjured
up horrors before me.
Then I
explained my magical sophisms with hallucinatory words!
I ended by
treating my mental disorder as sacred. I was idle, prey to a heavy fever: I
envied the happiness of beasts – caterpillars: that represent Limbo’s
innocence, moles: the sleep of virginity!
My character
was embittered. I said farewell to the world in song:
La
vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe.
Je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.
Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots !
Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J'étais oisif, en proie à une lourde fièvre : j'enviais la félicité des bêtes, — les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité !
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances :
Je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.
Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots !
Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J'étais oisif, en proie à une lourde fièvre : j'enviais la félicité des bêtes, — les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité !
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances :
__________
SONG OF THE HIGHEST TOWER
May it come,
the time of love,
The time we
would be enamored of.
I've been
patient so long
I have
forgotten
All fears
and suffering
They've flown
up into skies.
My veins
burst,
I thirst.
May it come,
the time of love,
The time we
would be enamored of.
So the
meadow
Freed by
neglect,
Flowered,
overgrown
With weeds
and incense,
To the buzz
nearby
Of foul
flies.
May it come,
the time of love,
The time we
would be enamored of.
CHANSON DE LA PLUS HAUTE TOUR
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie.
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne.
Telle la prairie
À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies,
Au bourdon farouche
Des sales mouches.
Qu'il vienne, qu'il vienne,
Le temps dont on s'éprenne
__________
I loved the
wilds, scorched orchards; faded shops, lukewarm drinks. I would drag myself
through stinking alleys, and, eyes closed, offer myself to the sun, god of
fire.
“General, if
there’s one old cannon left on your ruined ramparts, bombard us with chunks of
dried mud. Fire on the mirrors of magnificent shops! Into the salons! Make the
city eat its own dust. Oxidize the water spouts. Fill the boudoirs
with burning powdered rubies…”
Oh, the
drunken fly in the public urinal, in love with the waste and refuse that a ray
of light dissolves!
J'aimai
le désert, les vergers brûlés, les boutiques fanées, les boissons tiédies. Je
me traînais dans les ruelles puantes et, les yeux fermés, je m'offrais au
soleil, dieu de feu.
"Général, s'il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des blocs de terre sèche. Aux glaces des magasins splendides ! dans les salons ! Fais manger sa poussière à la ville. Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs de poudre de rubis brûlante..."
Oh ! le moucheron enivré à la pissotière de l'auberge, amoureux de la bourrache, et que dissout un rayon!
"Général, s'il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des blocs de terre sèche. Aux glaces des magasins splendides ! dans les salons ! Fais manger sa poussière à la ville. Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs de poudre de rubis brûlante..."
Oh ! le moucheron enivré à la pissotière de l'auberge, amoureux de la bourrache, et que dissout un rayon!
__________
HUNGER
If I have a
taste for it,
It is not
just for earth and stone.
I breakfast
ever on air,
On coal, on
iron, on bone.
My hungers turn. My
hungers browse
On a field
of sound.
Suck the
gaudy venom
From the
weedy ground.
Eat what’s
broken,
Eat the
churches’ old stones;
Gravel from
an ancient deluge,
Loaves sown
in valleys of gray.
FAIM
Si j'ai
du goût, ce n'est guère
Que pour la terre et lespierres .
Je déjeune toujours d'air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu'on brise,
Les vieillespierres d'églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises
Que pour la terre et les
Je déjeune toujours d'air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu'on brise,
Les vieilles
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises
__________
The wolf
howls in the leaves
Spitting out
beautiful plumes
From his
feast of fowls:
Like him I
am consumed.
Salads and
fruits
Wait for the
pickers;
But the spider
in the hedge
Eats
violets, no others.
Let me
sleep! Let me seethe
On the
altars of Solomon.
Boiling over
the rust,
Mingling
there with the Cedron.
Le loup
criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette ;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette ;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.
At last, O
happiness, O reason, I plucked from the sky the azure, which is of the
darkness, and I lived, a golden spark of natural light. From
joy, I took on the most clownish expression possible:
Enfin, ô
bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus,
étincelle d'or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression
bouffonne et égarée au possible :
It is
recovered!
What? –
Eternity.
It is the
sea
Conjoined
with the sun.
My immortal
soul
Observe your
vow
Despite the
night alone
And the day
on fire.
You free
yourself then,
Of human
bondage,
Of mortal
aspirations,
And soar
above it all…
Without
hope,
Without
direction.
Science and
patience,
Torture is
real.
No more
tomorrow,
Embers of
satin,
Your
affection and zeal
Is your one
obligation.
It is
recovered!
What? –
Eternity.
It is the
sea
Conjoined
with the sun.
Elle
est retrouvée !
Quoi ? l'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
Mon âme éternelle,
Observe ton vœu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.
Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans !
Tu voles selon...
— Jamais l'espérance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.
Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.
Elle est retrouvée !
— Quoi ? — l'Éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
Quoi ? l'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
Mon âme éternelle,
Observe ton vœu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.
Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans !
Tu voles selon...
— Jamais l'espérance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.
Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.
Elle est retrouvée !
— Quoi ? — l'Éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
__________
I became a fabulous opera: I saw that all beings
are destined for happiness: action is not life, but a way of
wasting strength, weakening vitality. Morality is a weakness of the
brain.
To every being,
I felt, several other lives seemed due. This gentlemen knows
not what he does, he is an angel. This family is a pack of dogs. Before several
men I have momentarily spoken aloud of their other lives. – I loved
a pig.
None of the
sophistries of madness – madness to be locked away – was forgotten by
me: I could recite them all, I know the
system.
My health
was threatened. Terror came. I fell into a slumber for several days, and,
waking, continued with the same sad dreams. I was ripe for death, and along a
road of perils my weakness led me to the confines of the world and the
world of illusion, fantasy, land of shadows and
whirlwinds.
I was forced
to travel, divert the enchantments assembled in my brain. Over the sea, which I
loved as if it were sure to cleanse me of defilement, I saw the consoling cross
arise. I had been damned by the rainbow. Happiness was my fatality, my remorse,
my worm: my life would forever be too immense to be devoted to strength and
beauty.
Happiness!
Its tooth, sweet unto death, warned me at cockcrow – ad matutinam,
at Christus venit, – in the darkest cities:
Je devins
un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de
bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque
force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.
À chaque être, plusieurs autres vies mes semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. — Ainsi, j'ai aimé un porc.
Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu'on enferme, — n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J'étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la mer, que j'aimais comme si elle eût dû me laver d'une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais été damné par l'arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.
Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les plus sombres villes :
À chaque être, plusieurs autres vies mes semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. — Ainsi, j'ai aimé un porc.
Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu'on enferme, — n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J'étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la mer, que j'aimais comme si elle eût dû me laver d'une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais été damné par l'arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.
Le Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les plus sombres villes :
__________
O seasons, O
castles!
What soul is
without fault?
The magic
study I pursued,
Of
happiness, none can elude.
To him offer
a toast, each time
We hear the
cockcrow.
There’s
nothing more I desire,
My obsession has swallowed me whole.
Charmed
body, soul and brain,
Dispersed of
every strain.
O seasons, O
castles!
The hour of
flight will be,
The hour of
death for me.
O seasons, O
castles!
Ô
saisons, ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?
J'ai fait la magique étude
Du bonheur, qu'aucun n'élude.
Salut à lui, chaque fois
Que chante le coq gaulois.
Ah ! je n'aurai plus d'envie :
Il s'est chargé de ma vie.
Ce charme a pris âme et corps
Et dispersé les efforts.
Ô saisons, ô châteaux !
L'heure de sa fuite, hélas !
Sera l'heure du trépas.
Ô saisons, ô châteaux !
Quelle âme est sans défauts ?
J'ai fait la magique étude
Du bonheur, qu'aucun n'élude.
Salut à lui, chaque fois
Que chante le coq gaulois.
Ah ! je n'aurai plus d'envie :
Il s'est chargé de ma vie.
Ce charme a pris âme et corps
Et dispersé les efforts.
Ô saisons, ô châteaux !
L'heure de sa fuite, hélas !
Sera l'heure du trépas.
Ô saisons, ô châteaux !
That’s
all past. I know these days how to greet beauty.
Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui
saluer la beauté.
THE IMPOSSIBLE
Ah, that life of my childhood, the highroad in all weathers,
supernaturally sober, more disinterested than the finest of beggars, proud of
having neither country nor friends, how silly it was. – And only now do I see!
– I was right to despise those fellows who never lose the chance
for a caress, parasites on the cleanliness and health of our women, now they
are in such slight accord with us.
I was right in my disdain: since I escape!
I evade?
I’ll explain.
Yesterday, I was still sighing: ‘Heaven! There are enough of us
damned down here! I’ve already spent too long, myself, amongst this crew! I
know them all. We’ll always recognise each other; we find each other
disgusting. Charity’s unknown to us. But we’re polite; our relations with
people are perfectly correct.’ Is it surprising! People! Merchants, fools! –
We’re not dishonoured – But the elect, how would they receive us? For there are
pugnacious and joyous folk: a false elect since we need neither audacity nor
humility to approach them. They are the sole elect. They never bless others!
Having found two sous of
sense again – it’s quickly spent! – I see my ills come of not realising soon
enough that we are in the West. The western bayou! Not that I believe the light
altered, the form extenuated, the movement astray…Well, then! Here my mind
wants to burden itself absolutely with all the cruel developments the mind has
suffered since the end of the East…it bears a grudge my mind!
…My two sous of
sense are spent! – Mind has authority: it wants me to be in the West. It would
have to be silenced for me to end as I wish.
I consigned to the devil the martyrs’ palm-leaves, the revelation
of art, the pride of inventors, the hope of looters; I returned to the East and
wisdom – It seems that’s a dream of a fat man!
Yet I hardly dreamt of the pleasure of escaping from modern
suffering. I’m not thinking of the bastard wisdom of the Koran – But is there not true torture in that, ever
since that declaration of knowledge, Christianity, man cheats himself, proves
the obvious, puffed up with pride at repeating the proof, and lives like that! Subtle torture,
foolish; the source of my spiritual wanderings. Nature could be bored, perhaps!
Monsieur Prudhomme was born with Christ.
Is it not because we nurture mists! We eat fever with our wet
vegetables. And the drunkenness! And tobacco! And ignorance! And devotions! –
Isn’t all that far from the thought, the wisdom of the East, the primeval land?
Why a modern world, if they invent such poisons!
Men of the Church say: ‘Understood. But you really mean Eden. Not for you, the history of
eastern peoples. – It’s true: it was Eden I dreamt of! What has that purity of ancient races to do with my
dream!
Philosophers: The world has no age. Humanity simply changes its
address. You are in the West, but free to inhabit your East, as old as you wish
it – and live there well. Don’t be one of the defeated. Philosophers, you
belong to your West.
My mind, be on your guard. No violent decisions on salvation. Stir
yourself! – Ah, science is not fast enough for us!
– But I see my mind is asleep.
If it were always awake from now on, we would soon arrive at
truth, which perhaps surrounds us with its angels weeping! ... – If it had been
awake till now, I would never have yielded to pernicious instincts, in an
immemorial age! … If it had always been awake, I should be voyaging full of
wisdom!
O Purity! Purity!
It’s this very moment that has granted me a vision of purity! – By spirit one goes to God!
Mind boggling misfortune!
L'impossible
Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était. — Et je m'en aperçois seulement !
— J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous.
J'ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m'évade !
Je m'évade !
Je m'explique.
Hier encore, je soupirais : "Ciel ! sommes-nous assez de damnés ici-bas ! Moi j'ai tant de temps déjà dans leur troupe ! Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours ; nous nous dégoûtons. La charité nous est inconnue. Mais nous sommes polis ; nos relations avec le monde sont très convenables." Est-ce étonnant ? Le monde ! les marchands, les naïfs ! — Nous ne sommes pas déshonorés. — Mais les élus, comment nous recevraient-ils ? Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace ou de l'humilité pour les aborder. Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs !
M'étant retrouvé deux sous de raison — ça passe vite ! — je vois que mes malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que nous sommes à l'Occident. Les marais occidentaux ! Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré... Bon ! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développements cruels qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'Orient... Il en veut, mon esprit !
... Mes deux sous de raison sont finis ! — L'esprit est autorité, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais.
J'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards ; je retournais à l'Orient et à la sagesse première et éternelle. — Il paraît que c'est un rêve de paresse grossière !
Pourtant, je ne songeais guère au plaisir d'échapper aux souffrances modernes. Je n'avais pas en vue la sagesse bâtarde du Coran. — Mais n'y a-t-il pas un supplice réel en ce que, depuis cette déclaration de la science, le christianisme, l'homme se joue, se prouve les évidences, se gonfle du plaisir de répéter ces preuves, et ne vit que comme cela ! Torture subtile, niaise ; source de mes divagations spirituelles. La nature pourrait s'ennuyer, peut-être ! M. Prudhomme est né avec le Christ.
N'est-ce pas parce que nous cultivons la brume ! Nous mangeons la fièvre avec nos légumes aqueux. Et l'ivrognerie ! et le tabac ! et l'ignorance ! et les dévouements ! — Tout cela est-il assez loin de la pensée de la sagesse de l'Orient, la patrie primitive ? Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent !
Les gens d'Église diront : C'est compris. Mais vous voulez parler de l'Eden. Rien pour vous dans l'histoire des peuples orientaux. — C'est vrai ; c'est à l'Eden que je songeais ! Qu'est-ce que c'est pour mon rêve, cette pureté des races antiques !
Les philosophes : le monde n'a pas d'âge. L'humanité se déplace, simplement. Vous êtes en Occident, mais libre d'habiter dans votre Orient, quelque ancien qu'il vous le faille, — et d'y habiter bien. Ne soyez pas un vaincu. Philosophes, vous êtes de votre Occident.
Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi ! — Ah ! la science ne va pas assez vite pour nous !
— Mais je m'aperçois que mon esprit dort.
S'il était éveillé toujours à partir de ce moment, nous serions bientôt à la vérité, qui peut-être nous entoure avec ses anges pleurant !... — S'il avait été éveillé jusqu'à ce moment-ci, c'est que je n'aurais pas cédé aux instincts délétères, à une époque immémoriale !... — S'il avait toujours été bien éveillé, je voguerais en pleine sagesse !...
Ô pureté ! pureté !
C'est cette minute d'éveil qui m'a donné la vision de la pureté ! — Par l'esprit on va à Dieu!
Déchirante infortune !
LIGHTNING
Human toil! The fireworks that lighten my abyss from time to time.
Nothing’s in vain: on to Science, forward!’ Cries the modern Ecclesiastes,
that’s to say The Whole World. And
yet the corpses of the wicked and idle still fall on the hearts of others…Ah!
Quick, quick, a moment: there, beyond the night, that future recompense,
eternal…shall we escape them? …
– What can I do? I know work: and Science is too slow. Prayer
gallops and light thunders… I see that clearly. It’s too simple, and the
weather’s too warm: they’ll do without me. I’ve my duty: I’ll be proud the way
others are, in setting it aside.
My life’s used up. Let’s go! Cheat, do nothing! And we’ll exist by
amusing ourselves, dreaming up monstrous loves and fantastic universes, moaning
and quarrelling with the world’s shows, acrobat, beggar, artist, ruffian –
priest! In my hospital bed, the scent of incense returned to me so strongly:
guardian of the sacred aromatics, confessor,
martyr…
I recognise now my rotten childhood education. So what! …Let me be
twenty, if the others are going to be twenty…
No! No! Now I rebel against death! Work seems too trivial for my
pride: my betrayal to the world would be too brief a torment. At the last I’ll
attack to right and left…
Then – oh – poor dear soul, would not eternity be lost to us!
L'Éclair
Le travail humain ! c'est l'explosion qui éclaire mon abîme de temps en temps.
"Rien n'est vanité ; à la science, et en avant !" crie l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde. Et pourtant les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le cœur des autres... Ah ! vite, vite un peu ; là-bas, par-delà la nuit, ces récompenses futures, éternelles... les échappons-nous ?...
— Qu'y puis-je ? Je connais le travail ; et la science est trop lente. Que la prière galope et que la lumière gronde... je le vois bien. C'est trop simple, et il fait trop chaud ; on se passera de moi. J'ai mon devoir, j'en serai fier à la façon de plusieurs, en le mettant de côté.
Ma vie est usée. Allons ! feignons, fainéantons, ô pitié ! Et nous existerons en nous amusant, en rêvant amours monstres et univers fantastiques, en nous plaignant et en querellant les apparences du monde, saltimbanque, mendiant, artiste, bandit,— prêtre ! Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante ; gardien des aromates sacrés, confesseur, martyr...
Je reconnais là ma sale éducation d'enfance. Puis quoi !... Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans...
Non ! non ! à présent je me révolte contre la mort ! Le travail paraît trop léger à mon orgueil : ma trahison au monde serait un supplice trop court. Au dernier moment, j'attaquerais à droite, à gauche...
Alors, — oh ! — chère pauvre âme, l'éternité serait-elle pas perdue pour nous !
MORNING
Did I not have a wonderful childhood, heroic, fabulous, to be
written on leaves of gold – too fortunate! For what crime, what error, have I
merited present weakness? You who claim that the beasts sob with grief, that
the sick despair, that the dead have bad dreams, try to recount my fall and my
slumber. I can explain myself no better than the beggar with his incessant Our Father’s and Hail
Mary’s. I can speak no
more.
Yet today I think I’ve finished my tale of hell. It was hell, for
certain; the ancient one, whose gates the son of man opened
wide.
From the same desert, in the same night, always my weary eyes wake
to the star of silver, always, without troubling the Kings of life, the three
mages, heart, soul, and spirit. When shall we go beyond the shores and
mountains, to hail the birth of fresh toil; fresh wisdom, the rout of tyrants
and demons, the end of superstition, to adore – as the first – Christmas on
earth!
The song of the heavens, the march of peoples! Slaves, let us not
curse life.
Matin
N'eus-je pas une
fois une jeunesse aimable,
héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or, — trop
de chance ! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse
actuelle ? Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin,
que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma
chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le mendiant avec
ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler !
Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était bien l'enfer ; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.
Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le cœur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre !
Le chant des cieux, lamarche des peuples
! Esclaves ne maudissons pas la vie.
Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était bien l'enfer ; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.
Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le cœur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre !
Le chant des cieux, la
FAREWELL
Autumn already! – But why regret an eternal sun, if we are engaged in discovering the divine light – far from races that die
with the seasons.
Autumn. Our ship towering in the motionless fog
turns towards the port of poverty, the enormous city with a sky of fire and
mud. Ah! The rotting rags; the bread soaked with rain, the drunkenness, the
thousand loves that have crucified me! She’ll never have done then, this
ghoulish queen of millions of souls and corpses who will be judged! I see my
skin ravaged again by mud and pestilence, worms filling my hair and my armpits,
and bigger worms in my heart, stretched out among ageless unknowns, without
feeling…I might have died there…Horrible imagining! I detest poverty.
And I fear winter because it’s the season of comfort!
– Sometimes I see limitless beaches in the sky covered by nations
of white clouds, full of joy. A great golden vessel, above me, waves its flags
of red, blue and purple in the morning breeze. I’ve created all the feasts, all
the triumphs, all the dramas. I’ve tried to invent new flowers; new stars, new bodies,
new languages. I believed I’d gained supernatural powers. Ah well! I must bury
my imagination and my memories! Sweet glory as an artist and fabricator swept away!
– I! I, who called myself magus or angel, exempt from all
morality, I’m returned to the soil, with a task to pursue, and wrinkled reality
to embrace! A peasant!
Am I wrong? Is pity the sister of death, for
me?
Well, I shall ask forgiveness for nourishing myself with lies.
Let’s go.
But no friendly hand!
And where to find help?
Yes, the present hour is very severe at
least.
Since I can say the victory is won: the gnashing of teeth, the
hissing of flames, the pestilential sighs are fading. All the foul memories are
vanishing. My last regrets flee. – My envy of beggars, brigands, friends of
Death, all sorts of backward ones. – Damned ones, if I revenged
myself!
It is absolutely necessary to be
modern.
No hymns: hold the ground gained. Harsh night! The dried blood caked
on my face, and I've nothing at my back but that horrible stunted tree!
…Spiritual combat is as brutal as the warfare of men: but the vision of justice
is God’s delight alone.
Still, now is the eve. Let us receive every influx of strength and
true tenderness. And at dawn, armed with an ardent patience, we’ll enter into
the splendid cities.
What did I say about a friendly hand? One real advantage, is that
I can smile at old false loves, and laugh at those lying couples put to shame –
I’ve seen the hell of women down there: – and it will be granted me to possess truth in a soul and a body.
April-August, 1873
Adieu
L'automne déjà ! — Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons.
L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.
Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du comfort !
— Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je
trompé, la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
Oui, l'heure nouvelle est au moins très
sévère.
Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. — Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, — j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; — et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. — Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, — j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; — et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Avril-août, 1873.
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